Pour Ibn Khaldoûn, l’Etat est un processus contradictoire, construit par une violence organisée, que son fonctionnement l’amène cependant à affaiblir, puis anéantir. C’est dans le monde « bédouin », où la violence des groupes est rendue nécessaire par le souci de se défendre et de survivre, que l’Etat va puiser la force nécessaire à son existence et à son maintien. Cette force fond au bout d’un certain temps au feu de la pacification étatique, et doit être renouvelée. Il existe donc une relation intime et délétère entre l’Etat et la tribu. L’une nourrit l’autre, et s’y engloutit. Ce mécanisme simple admet une infinité de variantes et de nuances que Gabriel Martinez-Gros étudie à la fois dans l’introduction (Muqaddima) et dans l’histoire universelle d’Ibn Khaldûn. Il s’interroge ensuite sur les conditions de pertinence de la théorie, de fait bien adaptée à une histoire impériale dont on peut repérer la mise en place en Orient dès le premier millénaire avant notre ère, mais que les royaumes hellénistiques ou l’empire romain illustrent aussi. En revanche, l’histoire de l’occident médiéval et de l’Ancien Régime ne correspond guère à ce schéma, et encore moins l’histoire des nations modernes. Mais une forme d’épuisement du progrès économiques, la mise en cause des nations, le malaise des démocraties pourrait rendre actualité, dans nos propres sociétés, à la théorie d’Ibn Khaldûn.