Deux mois après la prise de pouvoir du colonel Houari Boumédiène, le numéro 134 de Révolution africaine est saisi à l’imprimerie et, en quelques heures, recomposé sous l’œil de la Sécurité avant d’être, sans que rien n’en paraisse, distribué dans les kiosques.Son directeur, l’ancien dirigeant communiste Amar Ouzegane, qui voulait, documents inédits à l’appui, s’y prévaloir publiquement d’être l’auteur unique de la mythique « Plateforme de la Soummam », est contraint à l’exil.L’enquête très attentive conduite sur un épisode de censure aussi audacieux qu’occulte donne l’occasion de revenir sur le rôle joué par l’hebdomadaire internationaliste dans les premières années de l’indépendance pour ceux qui se voulaient « la gauche du FLN », et sur les modalités de sa reprise en main par étapes entre 1964 et 1966. Elle interroge non moins vivement la place si contradictoire que le programme adopté à l’été 1956 continue à occuper dans l’imaginaire politique algérien, qu’il ait été controversé dans ses principes mêmes ou soit toujours invoqué tant par le régime en place, que par ceux qui y cherchent, à raison ou à tort, la base d’une refondation démocratique. Elle met aussi en lumière de quelles multiples manières s’est perpétuée jusqu’à nos jours la tentation pour les autorités de substituer leur propre parole à la libre expression des journalistes. À ce titre, comme l’écrit Mohammed Harbi dans sa postface, la lecture de ce livre sera des plus fécondes pour quiconque aspire à l’épanouissement d’une société ouverte à la pluralité des cultures, des idées et des croyances.