Nous venions de nulle part, d’un trou noir mental appelé Algérie, nous étions louches, sans le sou, dénués de qualification particulière, des prolétaires ayant été sans le moindre égard jetés dehors de ce qu’ils considéraient être chez eux, ficelés dans le silence… - A. R. Habitée par un insoluble questionnement à propos des origines, née du mauvais côté de la barrière, dans le camp des « colonialistes » où les siens ont été assignés à résidence par une histoire sans nuances, la narratrice tente de s’ancrer dans le terroir bordelais où sa famille a échoué en 1962, quelques années avant sa naissance. Peine perdue, les sols caillouteux du vignoble la ramènent aux déserts qu’elle n’a pas connus, la méfiance des paysans à l’incontournable question : « Comment peut-on être pied-noir ? »Son enfance déclassée, la mort de son père fauché sur une route, semblent inscrire son destin dans la tragédie. Mais nulle résignation chez ce « rapporteur en couettes » qui tout enfant décide d’échapper par les mots, les siens et ceux des autres, à la malédiction des origines. Mémorialiste fantaisiste et narquoise des humiliations subies, elle se lance dans l’apprivoisement mélancolique des malheurs alentour. Au cimetière du village, son lieu de prédilection, chaque pierre tombale des familles « bien françaises » révèle des drames et des dommages qui lui permettront de renouer le fil de sa propre vie. Très tôt, elle comprend que seule l’écriture pourra la sauver : s’inventant des généalogies – Hemingway et Beckett en guise de grands-pères –, elle plonge à corps perdu dans le creuset de l’imaginaire pour en extraire un éblouissant roman de formation. Ici le lent et patient apprentissage d’une terre et le pouvoir rédempteur de la littérature interrogent et dissolvent peu à peu le désespoir de vivre et la culpabilité.