l'Etudiant .L'invention du visible - l'image à la lumière des arts.

Les démêlés de la philosophie avec l'image sont une très vieille affaire, à dire vrai ils sont d'origine et ne cesseront pas de hanter et de jalonner son histoire. 
L'image a été l'Autre de la philosophie avec et contre lequel elle s'est constituée en puissance de vérité, l'équivalent du «malin génie» imaginé par Descartes pour faire valoir le pouvoir d'échappement de la pensée aux sortilèges des apparences trompeuses. Platon déjà avait imaginé une sombre caverne où les hommes adhéraient à la seule compagnie des ombres, un bien «étrange tableau» au dire de Glaucon qui en recevait la description de la bouche même de Socrate ; 
Descartes va au-delà et du fond de sa chambre, de son «poêle» chauffé pour un aide hiver allemand, sa rêverie métaphysique invente l'extraordinaire fiction d'un peintre «non moins rusé et trompeur que puissant, qui a employé toute son industrie à me tromper», au point de faire que «le ciel, l'air, la terre, les couleurs, les figures, les sons et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies dont il se sert pour surprendre ma crédulité». Dans le clos et l'obscurité d'une chambre qui ressemble à s'y méprendre à la «caméra obscura» du peintre, Descartes projette un monde-spectacle réduit à l'artifice d'un divin mais malicieux metteur en scène et, tout prêt d'entrer en crédulité sous le charme des couleurs, des figures et des sons, s'en arrache in extremis pour dire «non de sa tête superbe» (Paul Valéry) : «qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose»4. 
Et c'est ainsi que du monde réduit à l'inconsistance d'une image, le sujet soustrait la certitude de son existence. C'est donc bien contre le «mauvais génie» de l'image fallacieuse, d'abord érigée en monde consistant avant d'être chiffonnée par un doute résolu, que la terre ferme de la vérité est atteinte. La pensée se gagne contre l'absorbement et la croyance aux images - mais quoi, ce ne sont que des images ! -, et si le leurre subsiste de «ces illusions agréables», ce ne sera, ruines d'un songe désabusé, que pour ne plus ou moins s'y laisser prendre. Pour Descartes comme pour Platon la puissance de la pensée ne se libère qu'en s'opposant au pouvoir et à la magie instantanée des images, reliques et reliquat de nos croyances et de nos adhérences spontanées. 
Séduisante, captivante, fascinante ou repoussante, l'image, en un mot, ne pense pas.